dimanche 22 septembre 2013

Poilus, tranches de vies (5): le premier vérinois

Vérin est une commune relativement jeune. Si les démarches administratives menées par Jean VINCENT s'étalent sur de nombreuses années, sa création officielle est datée de 1880.
Ainsi naquit la quatorzième commune du canton, prise sur des terres de Saint Michel sur Rhône et de Chuyer.

Ce qui complique nos recherches pour les soldats des tranches plus âgées, mais, en revanche nous permet  de retrouver le premier bébé du registre des naissances, Joseph.
J'avais envie de connaître l'histoire de ce premier vérinois.

Joseph est de la classe 1900. Cette classe correspond à l'année des 20 ans et du recensement militaire. Elle ne compte que deux garçons né en 1880 à Vérin, Joseph V. et Marius C.
Si Marius survit aux quatre années de guerre, Joseph n'a pas cette chance.

Sa fiche matricule, aux archives de St Etienne, nous dit qu'il a d'abord bénéficié d'un report. Le motif est assez ordinaire en zone rurale:
son frère effectuant déjà le service militaire, l'incorporation est décalée afin que l'exploitation agricole ne souffre pas d'un manque de main d'oeuvre.
Il est enregistré au conseil de révision à Pélussin sous le n°23, quant à son incorporation, ce n'est que partie remise.
En 1901, il est envoyé au 35ème Régiment d'infanterie. Il s'agit probablement d'une erreur d'écriture. A cette époque les régiments sont régionaux. L'appelé effectue généralement son service dans le Régiment d'Infanterie (RI) de son département.
Par leur résistance à la Burle, de nombreux jeunes du canton furent appréciés par les bataillon de chasseurs (à pied et alpins).
A Vérin, par rapport à la moyenne nationale, nous avons un pourcentage anormalement élevé de chasseurs (plus de 30% des morts du monuments sont des chasseurs), les bataillons de chasseurs à pied et alpins (BCP, BCA et BCPA) sont considérés à l'époque comme une arme à part dans l'infanterie, habillés différemment, organisés autrement, moins nombreux et plus mobiles. Nous reviendrons sur cette particularité locale plus tard.
Revenons à Joseph, le 35ème RI était alors installé à Belfort. En revanche le 38ème RI était le régiment de St Etienne où servait les vérinois qui n'étaient pas chasseurs!
Nous ne pouvons l'affirmer avec certitude, mais, c'est donc plutôt à St Etienne que Joseph a effectué son service. Un an après son incorporation il est réformé pour "tuberculose pulmonaire".
A cette époque la tuberculose est un fléau, elle est la plupart du temps mortelle. Si de nombreux exemptés sont jugés aptes après révision (pour combler les pertes énormes de 1914), puis envoyés se faire tuer au front, le malheureux Joseph meurt à St Michel de sa tuberculose, courant 1917.

Lexique:
RI: régiment d'infanterie
BCP: bataillon de chasseurs à pied
BCA: bataillon de chasseurs alpins
BCPA: la Loi du 24 décembre 1888 spécialise plusieurs bataillons de chasseurs à pied en "alpin"
les 6, 7, 11, 12, 13, 14, 22, 23, 24, 27, 28 et 30ème BCP deviennent des BCPA
la subtilité n'est pas encore intégrée dans les registres de décès puisque nous avons à Vérin un mort du 28ème BCP et un autre du 28ème BCA. Il s'agit évidemment du même bataillon, le 28ème BCPA
chasseur: grade correspondant à un soldat 2ème classe et désigne par extension un militaire appartenant à un bataillon de chasseurs.
Le chasseur est recruté pour sa taille plutôt modeste et ses capacités d'évolution en terrain difficile. Une expérience de braconnier est appréciée!
L'armée utilise ses chasseurs en petits groupes mobiles et adaptés aux terrains accidentés et/ou aux conditions rudes. Les bataillons ne sont pas inclus dans l'organigramme traditionnel et sont souvent directement sous les ordres des généraux de corps d'armées.
ils sont aussi appelés les "diables bleus", à la fois pour leurs caractères combatifs et pour la tenue. Ils portent un béret large et  surtout un pantalon bleu en lieu et place du fameux pantalon rouge de l'infanterie.

Pour s'y retrouver un peu dans le fouillis de l'armée.
les grades:
le 2ème classe est le plus petit grade de l'armée, c'est le plus courant pour les vérinois. La plupart font un simple service et ne sont pas des militaires de carrières.
Le vérinois le plus gradé est un "capitaine" et nous avons plusieurs "sergent". Ils ont tous débuté comme simples 2ème classe et "ont pris du galon" au fil de la guerre.
Dans les archives nous retrouvons par équivalence du 2ème classe, le "chasseur" dans les BCP,  le "sapeur" dans le génie, le "servant" dans l'artillerie, etc.
il est parfois fait mention de "1ère classe" dans les fiches matricules, mais c'est rare. Ceux qui montent, passent de 2ème classe à caporal sans référence à ce statut intermédiaire (ce n'est pas un grade).

Les vérinois ayant une tendance à l'originalité, nous avons un sapeur 2ème classe devenu "pontonnier 1ère classe".

Un graphique simple est en court de finition pour le livre, afin de comprendre l'organisation de l'armée et les grades.
Ce n'est pas le plus passionnant, mais c'est nécessaire pour comprendre où se situe chaque vérinois dans l'organisation générale.

Sachant qu'avec la réalité des combats, il n'était pas rare que les gradés soit blessés ou tués, obligeant ainsi un grade subalterne à prendre en charge une formation plus importante de manière totalement improvisée.
Par exemple, le caporal Marius B. dont nous retranscrivons le carnet, commande en temps normal une escouade (15 soldats dans l'infanterie).
Marius, au moment d'être fait prisonnier, est à la tête d'une section, formation d'une cinquantaine de soldats en théorie commandée par un lieutenant (tous les gradés sont blessés, tués ou "disparus").
En l'absence d'officiers, les chasseurs isolés par les combats se regroupent autour du plus haut gradé restant.

Autre exemple avec Pierre N. simple chasseur de 2è classe en 1911, capitaine en 1916 (!) . Alors qu'il est lieutenant dans un bataillon de réserve ("réserve" signifiant dans ce cas qu'il est en appui du BCP de première ligne, en général le combat les rattrape rapidement), il se retrouve à devoir commander la compagnie entière suite au décès de son supérieur, soit plus de 200 chasseurs.
Souvent, l'action laisse une trace dans les archives puisque le comportement du soldat  en question débouche sur une médaille et/ou une citation  et/ou une montée en grade.

Nous reviendrons ultérieurement sur la diversité des régiments où sont passés les vérinois. Peu d'infanterie finalement, mais beaucoup de chasseurs et d'artilleurs, en passant par quelques spécialités plus rares tel un zouave, un cuirassier, un artilleur à pied d'Afrique, un mécanicien du groupe air, etc.
Nous avons quelques régiments célèbres comme le 98ème RI (cf les sentiers de la gloire de Kubrick en partie inspiré de l'affaire Chapelant), deux vérinois affecté dans ce régiment sont morts lors des combats contemporains des faits. Ils connaissaient probablement l'officier d'Ampuis (fusillé sur sa civière pour mémoire).
Sans oublier les expéditions lointaines avec quelques soldats envoyés aux Dardanelles ou en Afrique, des fronts un peu oubliés de nos jours, mais tout aussi dangereux.

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